Une enquête d’un journaliste sur la police qui finit en un procès à la Cour de répression des infractions économiques et du terrorisme (CRIET). Ce lundi 13 février 2023, le procès du journaliste Virgile Ahouansè, directeur de l’information de Crystal News et de ses deux coaccusés, s’est ouvert à midi devant cette juridiction spéciale, située à Porto-Novo. Il s’agit du chef quartier de Dowa Centre, Godonou Satognon Michel et le gardien de l’école primaire du quartier, Antoine Koukpo. Deux chefs d’accusation pèsent contre les prévenus : “Diffusion par voie électronique de fausses informations affectant la tranquillité publique et complicité de diffusion”.
Dans ce dossier, le parquet spécial reproche au directeur de l’information de Crystal News d’avoir diffusé fin novembre 2022 une enquête sur de présumées exécutions extrajudiciaires de la police à Porto-Novo, la capitale administrative du Bénin. Les faits rapportés par le journaliste ont été démentis par la police qui nie tout acte d’exécution extrajudiciaire.
Ce lundi 13 février 2023 à midi, Virgile Ahouansè apparait serein devant les juges de la CRIET. Il plaide non-coupable. Le journaliste affirme ne pas se reconnaitre dans les faits mis à sa charge par le parquet spécial. Ses deux coaccusés plaident également non-coupables. Après la procédure d’inculpation, les débats peuvent avoir donc lieu. Parmi les trois prévenus, le gardien de l’EPP Dowa Centre est le seul placé en détention provisoire, les deux autres comparaissent libres, rapporte l'envoyé spécial de Libre Express
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À 12 heures 05 minutes, Virgile Ahouansè est le premier a fait sa déposition. “Quelle est votre source d’information ou qui vous a contacté pour vous donner l’information”, lui lance le juge Guillaume Lally. Le journaliste prend alors la parole. Il confie à la Cour avoir été contacté par un parent d’élève. Ce dernier lui aurait donné l’information sur de présumés faits d’exécution extrajudiciaire dans cette école primaire de Porto-Novo. “J’ai pris le soin d’aller investiguer une première et une seconde fois. Les principaux témoins ont été rencontrés. Ils ont confirmé les informations”, déclare-t-il.
Aussitôt, le juge en charge du dossier demande à Virgile Ahouansè s’il est allé chercher les preuves matérielles qui confortent les déclarations de ses principaux témoins. “Oui, absolument. J’ai été dans une maison, j’ai vu les preuves d’une balle”, répond-il. Le journaliste a-t-il cherché à avoir la version de la police ? C'est la question que pose ensuite le juge Lally. “J’ai toujours contacté la police, mais j’ai souvent été tourné en rond. Ce n’est pas la première fois que je mène une investigation, la police ne m’a jamais répondu. J’ai délibérément choisi de ne pas contacter la police. Car cette fois-ci, je sentais ma vie menacée”, a-t-il laissé entendre.
La notion “d’exécution extrajudiciaire” divise parquet et défense
L’emploi de l’expression “exécution extrajudiciaire” par le journaliste Virgile Ahouansè lors de la série de questions-réponses avec le juge Lally n’a pas été du goût du parquet spécial de la CRIET. Le deuxième substitut du procureur spécial, Yélinest Ahoueya va demander alors : “Donnez-nous les preuves que c’est une exécution extrajudiciaire ?”. “Pour moi, c’est une exécution extrajudiciaire puisque des gens ont été tués en dehors de toute décision de justice”, a répondu Virgile Ahouansè.
Face à la réponse de Virgile Ahouansè, un débat théorique s’engage ensuite sur ce qu’on peut appeler “exécution extrajudiciaire”. “Est-ce que vous maintenez, dure et ferme que c’est une exécution extrajudiciaire ? Si oui, vous allez nous apporter des preuves ?”, a déclaré le ministère public. La réponse de Virgile Ahouansè est hésitante.
Selon le deuxième substitut du procureur spécial Yélinest Ahoueya, il est vrai que des gens ont été tués, mais c’est la qualification que donne Virgile Ahouansè qui pose un problème. “Pour nous, l’exécution extrajudiciaire signifie que la personne est en détention provisoire ou en garde à vue et qu’on est allé le chercher pour l’exécuter.”, a éclairé le procureur.
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À 12 heure 30 minutes, Me Aboubacar Baparapé, l’un des avocats de Virgile Ahouansè, demande à prendre la parole pour aider son client à donner une réponse correcte. Le juge Guillaume Lally s’oppose. Le magistrat précise qu’un journaliste est un professionnel de la langue française et qui doit maitriser les mots qu’il emploie dans son article. L’avocat Baparapé prend finalement la parole, il affirme que l’explication donnée par les juges de l’expression “exécution extrajudiciaire” est juridique et que cela n’a pas la même signification dans le français journalistique, rapporte l'envoyé spécial de Libre Express.
“Maintenez-vous qu’il s’agit d’une exécution extrajudiciaire”, relance alors Me Kêkê Adjignon. “Entre les déclarations des témoins et celles de la police, il y a une différence”, répond Virgile Ahouansè. L’avocat insiste sur sa question. Me Baparapé demande une suspension de l’audience, le juge Lally s’oppose et veut renvoyer le dossier. La défense n’en veut pas. Les échanges sont houleux. Le président de céans décide finalement de mettre le dossier de côté le temps d’examiner d’autres dossiers. Il est 12 heures 41 minutes.
Le chef quartier et le gardien de l’EPP Dowa Centre déposent
L’audience reprend finalement à 13 heures 19 minutes. Virgile Ahouansè dépose à nouveau. Cette fois-ci, c’est le ministère public qui est à la manœuvre. Le journaliste répond aux questions pendant une vingtaine de minutes. “Est-ce que vous vous rendez compte qu’il y a risque dans la publication de votre article et qui peut amener la population à se révolter contre la police”, veut savoir le ministère public. “Non, ces genres d’informations n’ont jamais amené la population à se révolter contre la police”, a répondu Virgile Ahouansè.
À 13 heures 41 minutes, le gardien de l’EPP Dowa Centre est appelé à déposer. L’homme s’exprime en dialecte Goun, une langue parlée à Porto-Novo. Ce gardien revient sur ces déclarations. L’enquête diffusée par le journaliste Virgile Ahouansè avait commencé par les propos de ce gardien d’école qui confiait avoir vu des policiers amenés une vingtaine de personne à l’EPP Dowa pour les exécuter, rapporte l'envoyé spécial de Libre Express .
Le juge l’interroge sur ses déclarations. Il raconte avoir vu la police débarquer dans son école la nuit du 16 au 17 novembre 2022. Ce jour-là, l’homme confie que la police a débarqué dans son école et qu’un policier l’a même abordé pour lui demander s’il était le gardien des lieux. Il dit avoir pris la clé des champs après avoir constaté que les policiers étaient en train de tirer sur les personnes qu’ils ont amené dans l’école. Le lendemain, le prévenu déclare aux juges qu’une importante quantité de sang humain a été retrouvé dans l’école et que les élèves de l’école ainsi que les riverains ont été obligés de verser du sable dedans.
Le ministère public a souhaité savoir s’il avait pris le soin d’informer le directeur de l’école qui est son patron. Ce gardien dit ne l’avoir pas fait. Le substitut du procureur lui demande ensuite s’il avait vu la police tirer sur les personnes qui avaient été amenées dans l’école. “Non, je n’ai pas vu la police tirée, mais j’ai entendu le crépitement des armes. C’est le lendemain matin que nous avons vu du sang dans l’école”, a-t-il précisé.
L’un des avocats de la défense est revenu sur les nuances contenues dans les déclarations du gardien de l’EPP Centre de Dowa devant la Cour et celles contenues dans l’enquête diffusée sur Crystal News par Virgile Ahouansè. L’homme de droit a demandé à la Cour la retranscription des propos du gardien diffusés par Virgile Ahouansè avant la prochaine audience.
À 14 heures, le chef quartier de Dowa Centre, Michel Satognon Godonou fait sa déposition en langue Goun. C’est le dernier des prévenus à déposer. L’homme est poursuivi sans mandat de dépôt. Ce chef quartier a dégagé toute responsabilité dans le dossier. Il dit avoir entendu les crépitements des armes la nuit de l’incident et que le lendemain des habitants de son quartier lui ont demandé de prendre sa responsabilité pour que des gens ne soient plus tués la nuit dans l’École.
Quelques minutes seulement auront suffi pour la déposition du chef quartier. Le président de Céans, Guillaume Lally a renvoyé le dossier au lundi 13 mars 2023. Le gardien de l’EPP Dowa Centre est retourné en prison en attendant la prochaine audience.
Ozias Hounguè (Envoyé spécial)
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Commentaires
Gilles
Merci au journal "Libre Express" pour ses investigations et la précision dans les détails. Vous au moins, vous êtes de la presse. 🙏🏻
22-02-23 à 06:34