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Bola Tinubu : le jour où le nouveau président du Nigéria a fui son pays pour le Bénin

Ce lundi 29 mai 2023, se déroule l'investiture solennelle du nouveau président du Nigeria, Ahmed Bola Tinubu, qui marque l'apogée d'une lutte politique acharnée. Siégeant autrefois en qualité de sénateur au Nigeria, Tinubu a été emprisonné sous Abacha. Après avoir recouvré sa liberté, celui que l'on surnomme le "City Boy" a dû quitter son pays pour trouver refuge au Bénin afin d'échapper à la féroce dictature de Sani Abacha. Récit d'une fuite et d'un exil tumultueux au Bénin.

Le nouveau président du Nigéria Bola Ahmed Tinubu

Le nouveau président du Nigéria Bola Ahmed Tinubu

L'homme qui se dirige avec élégance vers Aso Rock aujourd'hui, au milieu d'une cérémonie grandiose, a autrefois revêtu des habits plus modestes lors de son exil dans un pays qui n'était pas le sien. Bola Tinubu, le nouveau président nigérian, a foulé le sol béninois au moment même où le sien lui était devenu dangereux et  mortel. Son engagement politique a en effet suscité la poursuite du régime militaire dirigé par Sani Abacha.
 

Tout débute en 1991. À l’époque, un certain Bola Tinubu occupe la fonction de sénateur de l'État de Lagos. Il s'est d'ores et déjà forgé une réputation au sein de l'Assemblée nationale du Nigeria, en assumant la direction du Comité sénatorial des banques, des finances, des crédits et de la monnaie.

 

Lorsque le général Ibrahim Babangida a annulé l'élection présidentielle du 12 juin 1993, qui a été remportée par le candidat civil Moshood Kashimawo Olawale Abiola, Tinubu s’oppose farouchement contre cette injustice. Le nouveau président du Nigeria y voit la volonté de la dictature militaire de se maintenir au pouvoir. Il s'engage alors corps et âme dans la contestation de l'annulation de cette présidentielle.  Dans ce combat, Ahmed Bola Tinubu participe à de nombreuses manifestations pacifiques et anime des conférences de presse condamnant la décision de Babangida. Sa position intransigeante va profondément ébranler le régime militaire.

 

LIRE AUSSI : Présidentielle au Nigéria : Tinubu, candidat du parti au pouvoir, élu président selon la Commission électorale, l'Opposition conteste

 

Sous la pression de la Communauté internationale et des groupes pro-démocratie, Babangida a finalement décidé de "renoncer" à son pouvoir le 26 août 1993, mettant ainsi un terme à ses huit années de règne. Au lieu de remettre le pouvoir à un gouvernement élu démocratiquement comme promis, Babanguida a préféré jouer son va-tout. Il met ainsi en place un gouvernement intérimaire dirigé par un technocrate du nom d’Ernest Shonekan, tout en laissant comme numéro 2 du régime le général Sani Abacha, l'un de ses fidèles partisans qui avait joué un rôle clé dans le coup d'État de 1985 contre Muhammadu Buhari.

 

Comme beaucoup d'autres opposants à l'époque, Bola Tinubu a rapidement saisi le subterfuge ourdi par Babangida et s'est abstenu d'accorder son soutien à cet exécutif intérimaire. Il a persisté dans sa demande d'investiture de Moshood Abiola à la tête du Nigeria. Les groupes pro-démocratie, soutenus par les travailleurs du pétrole et du gaz, les étudiants, le mouvement ouvrier et les travailleurs de l'aviation, ont entrepris des actions commerciales et économiques pour exiger le rétablissement du mandat d'Abiola.
 

Abacha prend le pouvoir, exit le rêve de démocratie

 

Contre toute attente, la situation politique du pays se détériore davantage lorsque Abacha accède au pouvoir lors d'un coup d'État militaire le 17 novembre 1993, sans effusion de sang qui renverse Ernest Shonekan. Face à cette nouvelle réalité, les groupes pro-démocratie ont accru leurs protestations contre Sani Abacha, mais celui-ci a fait preuve d'une implacable cruauté en suspendant la Constitution afin d'établir un régime militaire total.
 

Le dessein d'Abacha visant à organiser une nouvelle élection a été vivement contesté par les éminents membres de la Coalition démocratique nationale (NADECO) ainsi que par les sénateurs destitués dont Tinubu. Ces derniers se rassemblèrent en secret afin mettre la pression sur Sani Abacha pour qu'il cède le pouvoir à Abiola.

 

Tinubu emprisonné, fuite et exil au Bénin 

 

Le 2 juin 1994, Bola Tinubu et de nombreux sénateurs ainsi que plusieurs membres de la Chambre des représentants ont été arrêtés sans la moindre inculpation. Ils sont maintenus en détention durant de nombreuses semaines avant d'être formellement accusés de trahison envers l'État nigérian. Bola Tinubu, en particulier, fait également face à d'autres accusations de conspiration visant à perpétrer un attentat contre le dépôt de la Compagnie nationale du pétrole du Nigeria (NNPC) situé à Ejigbo, dans l'État d'Osun. Suite à cette période d'humiliation politique, ils seront libérés sous caution par décision du tribunal.
 

En liberté, il est  persécuté et menacé de mort. Son oncle, nommé K.O. Tinubu, ancien policier, lui conseille de quitter immédiatement le Nigeria, car convaincu de l'imminence de son élimination physique. Bola Tinubu se voit contraint de quitter en 1994 le territoire nigérian pour trouver refuge dans un pays voisin, la République du Bénin. A l'époque, un certain Nicéphore Soglo dirigait le Bénin.

 

LIRE AUSSI : Bénin : avec l'élection de Tinubu au Nigéria, Patrice Talon évoque une nouvelle ère de "coopération plus impactante"
 

Lors d'une entrevue rapportée par le journal nigerian The Guardian, le nouveau président relate avec détails sa fuite au Bénin dans le but d'échaper à la dictature de Sani Abacha.  "Mon père m'a explicitement indiqué qu'il m'était impossible de regagner le foyer familial, car ce dernier avait été ravagé par les flammes dévastatrices. Par conséquent, je me suis réfugié chez un ami de confiance. Auparavant, un incident malheureux avait semé le doute dans leur esprit ; j'étais alors hospitalisé à Ore Falomo. Ils ont fait irruption à l'hôpital pour m'appréhender. Finalement, j'ai pris la décision de quitter le territoire nigérian, optant pour la République du Bénin, en suivant le trajet suggéré par la NADECO."

 

Soudain, ils ont annoncé que j'étais recherché à nouveau. Ils ont prétendu que j'avais l'intention de faire exploser le dépôt de la NNPC à Ejigbo. Ah ! On continuait de me juger pour trahison, un crime passible d'une peine d'emprisonnement à perpétuité, et j'étais de nouveau accusé d'avoir tenté de bombarder un dépôt de la NNPC. Je ne pouvais pas faire marche arrière, car ma photo était affichée partout où j'étais recherché. Une source diplomatique m'a conseillé de quitter le pays si je voulais poursuivre la lutte. Dan Suleiman (ancien gouverneur militaire de l’Etat du Plateau, NDLR), Alani Akinrinade (ex-général de l’armée nigériane, NDLR) étaient en danger. Nous avons demandé au professeur Bolaji Akinyemi de quitter le pays et de promouvoir notre combat à l'échelle internationale, a-t-il complété.

 

Pour échapper à la traque des autorités, Tinubu a dû se déguiser. Selon son témoignage, il s'est camouflé en portant un énorme turban et un babanriga, gracieusement prêtés par un ami d'ethnie haoussa, dans le but de passer inaperçu lors de sa visite auprès de Kudirat Abiola, une personnalité clé du mouvement pro-démocratie. Par la suite, il a poursuivi son périple à moto, en empruntant la route en direction du Bénin.

 

La vie d'exilé au Bénin

 

Malgré son exil au Bénin, Tinubu est demeuré ardemment engagé dans la lutte pour la démocratie au Nigeria, sans jamais fléchir. Il revenait secrètement à Badagry pour organiser et coordonner les activités du mouvement de résistance. Le gouvernement militaire de Sani Abacha dans sa détermination de l'arrêter, a intensifié ses efforts. Sa maison et sa résidence secondaire sont saisis, et huit de ses véhicules sont confisqués. Sa femme et ses enfants ont été contraints de se cacher dans les buissons avant d'être secourus par des missions diplomatiques et emmenés aux États-Unis; selon son témoignage.
 

Tinubu se retrouve dans une situation précaire et reste constamment vigilant face aux espions nigérians envoyés pour le traquer au Bénin. À maintes reprises, il a échappé de justesse à des tentatives d'arrestation ou d'assassinats au Bénin. Finalement, grâce à l'assistance du Haut-commissariat britannique, il s'est vu délivrer un visa pour voyager vers la Grande-Bretagne par le biais de la compagnie aérienne Air Afrique. Par la suite, il est retourné au Bénin afin de récupérer son passeport et s'est vu accorder un passeport diplomatique grâce à la bienveillance d'un pays africain reconnaissant envers l'assistance qu'Abiola avait autrefois accordé à son président.

 

LIRE AUSSI : Nigéria : en fin de mandat, Buhari s'excuse auprès des Nigérians offensés par les actions de sa présidence

 

Malgré les obstacles et les dangers qui se dressaient devant lui, Tinubu a persévéré dans l'organisation et la coordination des activités de résistance au régime d'Abacha, que ce soit depuis le Royaume-Uni, le Bénin ou encore la Côte d'Ivoire. Sa détermination à œuvrer en faveur de la démocratie au Nigeria n'a pas faibli, même face aux persécutions et aux menaces qui lui étaient infligées.
 

Tinubu retourne au Nigeria et devient gouverneur de Lagos

 

Le décès soudain du dirigeant Sani Abacha, le 8 juin 1998, a ouvert la voie au général Abdusalami Abubakar pour devenir chef de l'État. Contrairement à Abacha, Abubakar n'a pas cherché à réprimer les opposants pour se maintenir au pouvoir. Bien au contraire, il a annoncé un programme de transition qu'il a rigoureusement respecté. Bien que les circonstances entourant la mort d'Abiola le 7 juillet 1998, sous sa surveillance, demeurent floues, Abubakar a toujours nié toute implication dans cet incident tragique.

 

Le général Abubakar avait fixé le 29 mai 1999 comme date de transfert du pouvoir à un gouvernement démocratiquement élu. Avant cette date, il a accordé l'amnistie à tous les militants pro-démocratie et les a encouragés à rentrer au Nigeria pour participer au processus de transition démocratique. Bola Tinubu, de retour au pays, est accueilli par les habitants de Lagos, conscients des épreuves qu'il a endurées durant le régime autoritaire d'Abacha.
 

Cette réception chaleureuse l'encourage à poursuivre son projet de se présenter aux élections pour le poste de gouverneur. Il rejoint le Justice Forum, une plateforme politique pour les progressistes à Lagos, et devient l'un des membres éminents de l'Alliance pour la démocratie (AD).

 

LIRE AUSSI : Nigéria : un ex-vice président du sénat et sa femme reconnus coupables de prélèvement d'organes humains au Royaume-Uni
 

Bénéficiant du soutien des éminents leaders de la NADECO et d'Afenifere, Tinubu s'érige en candidat incontournable du parti pour l'éminente fonction de gouverneur de l'État de Lagos. Il parvient à se distinguer parmi ses pairs et gagne l'élection avec une victoire écrasante. Tinubu recueille l'adhésion de 814 000 voix, surpassant ainsi le candidat du Parti démocratique des peuples (PDP), Dapo Sarumi, qui n'obtient que 184 000 voix, ainsi que le candidat du All Peoples Party (APP), Nosiru Kekere Ekun, qui se contente de 122 000 voix. 

 

L'ampleur de son triomphe se reflète dans sa victoire en mai 1999 dans 19 des 20 conseils locaux de l'État de Lagos. En conséquence, Tinubu accède au poste de gouverneur de Lagos, avant de se voir réélire. Sa gouvernance à la tête de Lagos est saluée avec ferveur. De l'avis de nombreux médias nigérians, les citoyens gardent de lui l'image d'un City boy travailleur.

 

L'histoire de la fuite de Tinubu témoigne des défis et des sacrifices auxquels sont confrontés les défenseurs des droits de l'homme et les militants politiques dans leur quête de liberté et de justice. Son courage et sa persévérance ont été essentiels pour maintenir la lutte pour la démocratie au Nigeria, même en exil. 

 

Aujourd’hui, les relations entre le Bénin et le Nigeria se sont dégradées avec la présidence de Muhammadu Buhari (2015-2023). En 2019, le Nigéria a décidé de fermer unilatéralement sa frontière avec son pays frère du Bénin. Avec la présidence de Bola Tinubu, les Béninois espèrent qu’il se souviendra de ses années d’exil au Bénin.

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Commentaires

TAFFODÉ SÉVERIN

Je tire un coup de chapeau au président de la République du Bénin son excellence Monsieur Athanase Patrice Guillaume Talon pour avoir profité de cette rencontre internationale des chefs d'État à Paris pour aborder sérieusement le nouveau président de la République du Nigéria dans le but d'améliorer les relations bilatérales entre nos deux pays.

24-06-23 à 09:39

TAFFODÉ SÉVERIN

Je tire un coup de chapeau au président de la République du Bénin son excellence Monsieur Athanase Patrice Guillaume Talon pour avoir profité de cette rencontre internationale des chefs d'État à Paris pour aborder sérieusement le nouveau président de la République du Nigéria dans le but d'améliorer les relations bilatérales entre nos deux pays.

24-06-23 à 09:38

Franck Babatoundé FAROUWAN

Union fait la force. Merci au Président SEM Patrice Athanase Guillaume TALON pour son dynamisme ✌️✌️✌️🙏🙏🙏🇧🇯🇧🇯🇧🇯😷😷😷...!!!

30-05-23 à 06:05

Franck Babatoundé FAROUWAN

Union fait la force. Merci au Président SEM Patrice Athanase Guillaume TALON pour son dynamisme ✌️✌️✌️🙏🙏🙏🇧🇯🇧🇯🇧🇯😷😷😷...!!!

30-05-23 à 06:04

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