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Blocage du pétrole nigérien par le Bénin : l’ex-ministre des Affaires étrangères Agbénonci se dit surpris

Dans une interview sur RFI, l’ex-ministre des Affaires étrangères du Bénin, Aurélien Agbénonci a exprimé sa surprise après la décision du gouvernement de Patrice Talon de bloquer le transit du pétrole nigérien via la plateforme de Sèmè-Podji.

L'ex-ministre des Affaires étrangères du Bénin, Aurélien Agbénonci

L'ex-ministre des Affaires étrangères du Bénin, Aurélien Agbénonci

Entre le Bénin et le Niger, la tension est à nouveau montée d’un cran après la décision prise le lundi 6 mai 2024 par le président béninois de bloquer tout embarquement du pétrole nigérien depuis le pipeline de Sèmè-Podji. Mercredi 8 mai 2024, le président Patrice Talon a justifié cette mesure. Ce jeudi 9 mai 2024, c’est son ex-ministre des Affaires étrangères, Aurélien Agbénonci qui s’est prononcé au micro de RFI sur cette mesure.

 

Voici l'intégralité son interview sur la tension entre le Bénin et le Niger

 

Journaliste : Suite au refus du Niger de rouvrir sa frontière avec le Bénin, celui-ci décide de bloquer l'évacuation du pétrole nigérien. Quelle est votre réaction ?

 

Agbénonci : J'ai été un peu surpris d'apprendre que le gouvernement du Bénin a apporté une telle mesure. Je pensais qu'on était dans une démarche d'apaisement et de retour à la sérénité. Donc j'étais très surpris.

 

Journaliste : À l'origine de cette crise entre les deux pays, il y a le putsch au Niger le 26 juillet dernier et la décision du Bénin de s'associer aux autres pays de la CEDEAO qui ont alors sanctionné les putschistes de Niamey. Est-ce que c'était d'après vous la bonne décision ?

 

Agbénonci : Je m'étais abstenu pendant un an de m'exprimer sur ces questions-là. Une sorte de silence où je me suis imposé volontairement. Et je me suis dit qu'après un an, il était peut-être temps que je me fasse entendre pour contribuer à la recherche de solutions. Je pense que ce n'était pas la bonne décision parce que la CEDEAO, qui a recommandé ces sanctions qui sont plutôt radicales, la CEDEAO elle-même est dans une crise identitaire. 

 

On parle d'une Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest.  Et on se retrouve dans une situation où la communauté économique est partie directement sur un terrain politique. Et lorsque vous imposez des sanctions politiques alors que votre rôle est de rester d'abord dans la recherche de convergence économique pour pouvoir pousser la croissance et favoriser le développement dans cet espace communautaire, forcément, on arrive à une situation difficile comme celle-là.

 

Et donc la décision, elle était dure, elle est conforme à un protocole qui existe, le protocole sur la gouvernance de la CEDEAO. Et je pense que très sérieusement, on aurait dû trouver une manière un peu plus simple de régler le problème, à savoir forcer sur le dialogue, trouver des compromis, établir des échéances de retraits des forces qui étaient responsables de ces changements, de ces ruptures dans l'ordre constitutionnel. C'est des choses qui ont déjà fonctionné dans le passé, mais je crois qu'on est allé un peu trop fort et quand on va trop fort parfois, ça ne marche pas.

 

Journaliste : À la fin de l'année dernière, le Bénin a assoupli sa position à l'égard du Niger. Le président Talon a annoncé sa volonté de normaliser les relations et de rouvrir la frontière Bénin-Niger. Mais le Niger a refusé la main tendue. Qu'est-ce que vous en pensez ?

 

Agbénonci : En fait, ce qui s'est passé, c'est que le dialogue a été vicié. Il y a eu des suspicions de part et d'autre, il y a eu des accusations de part et d'autre qui, forcément, ont fait disparaître la confiance entre les partis. Et je pense que s'il n'y avait pas des interférences supposées au réel d'autres centres de pouvoir dans le dialogue entre ces deux pays, on ne serait pas arrivé à cette situation.

 

LIRE AUSSI : Transit du pétrole nigérien bloqué par le Bénin : le premier ministre nigérien dédouane son pays et implique la Chine

 

Ensuite, je crois que le Bénin peut-être a sous-estimé l'importance du Niger dans son économie. Et on a vu le résultat plus tard, la situation du port. Le port de Cotonou en a souffert, le Togo en a profité. J'ai écouté les autorités des deux pays et j'ai compris qu'en fait, le Togo n'avait pas préparé spécialement une manœuvre contre le Bénin. Le Bénin non plus n'avait pas prévu que les choses prendraient une telle proportion. Et je pense qu'une saine appréciation de la réalité et du rôle de chacun aurait pu amener à éviter cette situation.

 

Journaliste : Pour justifier son refus de la normalisation, la junte au pouvoir au Niger a accusé le Bénin d'abriter secrètement une base militaire française dans le nord de votre territoire. Est-ce que c'est crédible ?

 

Agbénonci : Il ne m'appartient pas de répondre à cela, puisque je ne suis plus aux affaires depuis maintenant 12 mois. Mais je ne pense pas que cette lecture était exacte. Mais c'est aussi, vous savez, la suspicion. Il y a beaucoup plus de suspicions dans ce genre de démarche. Et je crois que le dialogue direct, sans interférence, aurait pu vraiment aider à trouver des solutions concrètes.

 

Journaliste : Donc à votre connaissance, il n'y a pas de base militaire française au nord du Bénin

 

Agbénonci : Je n'en ai aucune preuve.

 

Journaliste : Et c'est en effet catégoriquement démenti par les autorités béninoises ?

 

Agbénonci : Je n'ai pas de raison de ne pas les croire.

 

Journaliste : Ces derniers jours, le ton est monté entre Niamey et Cotonou. C'était à l'occasion de la future inauguration de la plateforme pétrolière sur la côte béninoise. Le Niger a alors décidé d'envoyer une délégation au Bénin sans prévenir les autorités béninoises, en demandant simplement aux Chinois de la compagnie pétrolière CNPC de faire passer le message au Bénin. C'est un peu vexant, non ?

 

Agbénonci : Je n'ai pas les détails de ce qui s'est passé. Ce que je sais, c'est qu'il faut trouver des mesures d'apaisement. Je crois que le projet de pipeline est un projet utile pour les deux pays. C'est un projet important, c'est un bon projet. Je me souviens moi-même avoir été visiter les installations avec l'ancien président Bazoum lorsqu'il visitait le Bénin. Disons que le projet de pipeline mérite mieux que ce qui se passe.

 

Journaliste : Alors, pour le pouvoir militaire nigérien, cette manne pétrolière est très attendue, elle est même vitale. Si votre pays, le Bénin, bloque l'exportation de ce pétrole, est-ce que le régime militaire de Niamey va pouvoir tenir longtemps financièrement ?

 

Agbénonci : Écoutez, moi, je n'ai pas qualité pour parler au nom du gouvernement du Bénin, mais je sais que c'est un projet qui est vital. Et il y a d'autres questions qui sont importantes dans cette escalade qu'il y a entre le Bénin et le Niger. Vous savez par exemple que le secteur privé a beaucoup souffert à cause de la fermeture. Personne ne parle par exemple d'un fonds de compensation pour aider les acteurs du secteur privé qui ont laissé des plumes dans cette crise. Personne ne parle de solutions d'accompagnement pour les civils qui ont eu diverses difficultés. Et donc la priorité, je crois, il faut remettre les intérêts supérieurs des deux pays au centre du jeu.

 

Mon message, mon appel, je ne suis pas un donneur de leçons, c'est d'amener ceux qui sont en charge de la gestion publique dans ces deux pays à trouver le ton de la concertation. Vous savez, on dit souvent que toutes les guerres, toutes les batailles se terminent autour d'une table. Et le plus tôt que l'on s'assied autour d'une table, le mieux c'est pour les populations.

 

Journaliste : La compagnie pétrolière chinoise CNPC a avancé le 12 avril dernier quelque 400 millions de dollars au pouvoir militaire nigérien. Mais cette avance va être très vite consommée par le Niger et puis, après, si le pétrole ne coule pas, et bien, il n'y aura plus d'argent pour le Niger. Est-ce qu'un jour ou l'autre les deux parties ne vont pas devoir revenir à la table, peut-être sous médiation chinoise ?

 

Agbénonci : Je ne sais pas queelle sera la médiation, mais je crois qu'il faut désigner tout de suite des intermédiaires pour leur permettre de se parler. Et le plus implorant pour moi, c'est que cette escalade s'arrête et qu'une solution soit trouvée assez rapidement.

 

Journaliste : Malgré la fermeture de la frontière, il y a toujours des céréales et du maïs qui viennent du Bénin et qui rentrent au Niger. Mais cette fois-ci, le président Talon a décidé à bloquer ce secteur informel qui continue de faire passer les céréales parce qu'il veut faire savoir au Niger qu'il n'est pas content. Est-ce que de fait, ça ne risque pas de compliquer encore plus les relations entre vos deux pays ?

 

Agbénonci : Je n'ai pas eu connaissance de cette décision qui aurait été prise par le gouvernement du Bénin, mais je pense que le message le plus important aujourd'hui, c'est de mettre la balle à terre et de mettre les intérêts, bien compris des deux pays et surtout des populations, au centre du jeu.

 

Journaliste : Ce qu'a dit Patrice Talon ce mercredi devant la presse, c'est « je regrette ces relations difficiles avec le Niger, mais j'espère qu'elles vont s'améliorer ».

 

Agbénonci : Il faut qu'elles s'améliorent dans l'intérêt des deux pays. Personne ne sera gagnant dans cette guerre. Personne.

 

Journaliste : Aurélien Agbénonci, vous avez été pendant sept ans le ministre des Affaires étrangères du président Talon. Et puis tout à coup l'année dernière, en dehors de tout remaniement gouvernemental, on a appris votre départ par un simple communiqué. Qu'est-ce qui s'est passé ?

 

Agbénonci : J'ai servi le gouvernement de la République. Le moment était venu peut-être de passer à autre chose. Je suis passé à autre chose.

 

Journaliste : Vous avez démissionné ou le président vous a demandé de partir ?

 

Agbénonci : Je suis passé à autre chose. (Rires)

 

Journaliste : Et derrière ce rire, il y a que vous auriez bien aimé rester à votre poste ?

 

Agbénonci : Je suis passé à autre chose. Il faut avoir le sens des pages qui se tournent. Et les pages ont été tournées.

 

Journaliste : Et le différent, puisque évidemment si vous êtes parti, il y avait un différend entre le président et vous. Ce différend, il était sur la politique intérieure ou extérieure du Bénin ?

 

Agbenonci : Je crois qu'il faut tourner les pages. Les pages sont tournées et moi, je suis passé à autre chose.

 

Journaliste : Est-ce que vous vous êtes revu depuis un an ?

 

Agbenonci : Ce n'est pas un sujet.

 

Journaliste : Et aujourd'hui ?

 

Agbenonci : Ce n'est pas non plus un sujet.

 

Journaliste : Aujourd'hui, vous êtes passé à autre chose. 

Agbénonci : Je suis passé à autre chose. Je travaille dans le conseil géostratégique auprès de certains gouvernements. J'interviens dans des centres de formation et je travaille le forum de Crans Montana, dont je suis le conseiller Afrique.

 

Journaliste : il faut dire en deux mots de quoi il s'agit ?

 

Agbénonci : Le Forum de Crans Montana est une société savante qui abrite une académie mondiale et qui fait du travail de conseil auprès des gouvernements, auprès de divers acteurs étatiques et non-étatiques pour des questions qui concernent l'Afrique dans ce dialogue

 

Journaliste : et c'est à ce titre que vous souhaitez demain une réforme peut-être de la CEDEAO ?

 

Agbénonci : Je crois. C'est important. Il y a une crise identitaire, il faut la reformer et puis en faire l'outil qu'il doit être. Un outil d'intégration.

 

Journaliste : En gardant au sein de cette organisation les trois pays qui veulent en partir ?

 

Agbénonci : Ce serait souhaitable. Je crois que les pays qui ont crée l'AES ont dit les regrets de partir et donc je crois qu'il faut à un moment donné dans une famille trouver les moyens pour se remettre ensemble.

 

Transription : Ozias Hounguè

 

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